Film « My Name Is Khan »

Posted by autisme.info31 On février - 13 - 2010 Commentaires fermés

S’enfoncer dans la nuit sous la neige en rafales pour aller voir 2h45 de mélo bollywoodien ? C’est un truc qu’on ne fait qu’en début de festival, quand on a encore (à peu près) toute sa tête. Bollywood, c’est le continent inexploré : les grands festivals ont balisé tous les territoires du cinéma, ont glané de l’Extrême-Orient aux Antipodes, mais les films populaires indiens, qui attirent les foules dans le monde entier, restent à quelques exceptions près inconnus et indéchiffrables (enfin, de moi). Cannes avait tenté le coup avec Devdas, il y a quelques années, sans grand succès. Berlin a déjà fait venir la star qui nous occupe, j’ai nommé Shahrukh Khan, héros de My name is Khan – tiens, c’est vrai –, réalisé par Karan Johar. Le point de départ n’est pas mal, et il est, paraît-il, inspiré d’un fait réel, arrivé à l’acteur : alors qu’il se rendait aux Etats-Unis, les services de l’Immigration l’interrogèrent pendant deux heures, le confondant avec un homonyme soupçonné de terrorisme, avant que l’ambassade d’Inde débloque la situation. Transposée en roman-photo sur grand écran, l’anecdote doit être enjolivée : le personnage en question souffre d’un syndrome d’Asperger, une forme d’autisme savant, et après moult péripéties post-11 Septembre, il s’est donné comme but de traverser l’Amérique pour dire au président : « Mon nom est Khan et je ne suis pas un terroriste. » Mi-Rain Man, mi-Forrest Gump, boîte de chocolats comprise (voir ci-dessous).

Le film possède une espèce d’entrain feuilletonesque, une audace – ou un sans-gêne – qui l’autorise à tous les excès (de sentimentalisme, surtout). Il faut accepter le cabotinage du héros, qui joue l’idiot savant en penchant la tête et en grommelant. Il faut accepter de voir successivement – le voyage du type est aussi long que le film – deux sosies de présidents américains (un Bush pas mal, un Obama foiré). Il faut accepter, surtout, un épilogue ahurissant, où notre autiste s’en va sauver une communauté noire de Georgie prise dans une inondation – c’est juste effarant. Je ne sais pas ce qu’en penseront les puristes bollywoodiens, mais quasiment débarrassé des séquences chantées et dansées, le film invente une sorte de stéréotype de la narration (grandiloquente et invraisemblable) et de la mise en scène (contaminée par la pub) qui sera à n’en pas douter le prochain standard mondial (du film sans effets spéciaux). Ce Bollywood-là vise clairement la diaspora indo-pakistanaise – chez lui, Shahrukh Khan est attaqué par les nationalistes du Shiv Sena, notamment parce qu’il s’est prononcé pour l’incorporation de joueurs pakistanais dans l’équipe indienne de cricket (!), et le film sort sous surveillance policière. Ce Bollywood-là dominera peut-être un jour la planète cinéma.

Par contraste, le film d’ouverture (en compétition, ce que n’est pas My name is Khan) fait figure de monument de subtilité, « d’understatement », de retenue émotionnelle bienvenue. Il s’agit d’Apart together (Séparé ensemble ?), film chinois de Wuang Quanan (remarqué avec Le Mariage de Tuya, Ours d’or ici même il y a quelques années). Un tout petit film assez émouvant qui raconte le retour à Shanghai, un demi-siècle plus tard, d’un ex-soldat du Kuomintang parti en 1949 pour Taïwan en abandonnant la jeune femme qu’il aimait, enceinte de ses œuvres… Il est désormais octogénaire, et veuf. Elle est octogénaire, et mariée. L’utopie de vivre enfin leur amour brisé, si longtemps après, a-t-elle un sens ? Le film ménage des surprises, notamment la réaction compréhensive du mari – l’un des personnages les plus attachants du récit. Et le film dit en filigrane, ce qui n’est pas innocent dans la Chine d’aujourd’hui, l’inanité des rivalités d’hier, le temps perdu à vivre séparé, bref les tragédies provoquées par la folie des gouvernants. En Chine aussi tout finit par des chansons – et en connaître si bien les paroles montre qu’on est pareil à Shanghai ou à Taipei. Belle interprétation, émotion simple : une jolie miniature.

Aurélien Ferenczi.

SOURCE : Télarama
Cinécure – Le blog d’Aurélien Ferenczi

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