Philippe MAZET et Serge STOLERU – réflexions sur l’autisme

Posted by autisme.info31 On juillet - 20 - 2011 Commentaires fermés

C’est en 1943 que L. Kanner a caractérisé comme « autistiques » les troubles du contact présentés par 11 enfants, individualisant ainsi un type de psychopathologie du jeune enfant qui jusqu’alors n’était pas différenciée de l’arriération mentale. Depuis le vocable « autisme » (autiste pour l’enfant) s’est imposé. Parallèlement, notre connaissance des perturbations graves de la personnalité du jeune enfant s’est progressivement approfondie et d’autres aspects cliniques ont été décrits, ce qui a contribué en France à regrouper pour la plupart des cliniciens l’autisme infantile et ces troubles sévères de l’évolution psychique dans les 3-4 premières années sous l’expression « psychoses précoces ». Ceci dit, il est intéressant de noter que le D.S.M. III-R (3° édition révisée du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association Américaine de Psychiatrie, 1980) ne parle pas explicitement de psychose mais de « troubles envahissants du développement » (en dehors du retard mental) s’exprimant sous trois aspects : autisme infantile, trouble envahissant du développement débutant dans l’enfance, troubles atypiques ; ces deux dernières rubriques renvoyant aux aspects volontiers décrits en France sous les termes de distorsions ou de dysharmonies psychotiques ou bien de troubles prépsychotiques ou encore de troubles limites ou atypiques (!).

Troubles autistiques précoces.

Malgré leur fréquence très limitée (2 à 4 pour 10000 selon les travaux), les troubles autistiques précoces font l’objet d’un très vif intérêt tant chez les soignants que chez les chercheurs. Sans doute y-a-t-il chez les premiers un sentiment de malaise, voir d’impuissance face à des conduites aussi difficiles à saisir, à comprendre et à faire évoluer de manière favorable, et une sorte de fascination face aux modalités aussi particulières de (a)communication de l’enfant autiste. Comment ne pas être bouleversé par le regard, les mimiques, les gestes et les attitudes, le mutisme ou le langage si surprenant de tels enfants ! De même y-a-t-il chez les chercheurs, qu’ils appartiennent au domaine de la clinique ou à celui des disciplines biologiques, une grande envie d’avancer dans la compréhension et le traitement de troubles toujours aussi énigmatiques à bien des égards depuis L. Kanner.

(…)

Études génétiques et neurobiologiques.

Depuis l’introduction de la notion d’autisme infantile par L. Kanner, de très nombreuses recherches s’efforcent de cerner d’éventuelles anomalies de l’équipement neurobiologique. Elles se situent en pratique au niveau de trois grands axes : génétique, neurophysiologique, biochimique. Ces recherches rencontrent bien entendu des difficultés méthodologiques importantes : constitution de la population étudiée et sélection des patients, groupe contrôle, procédure technique, méthodologie différente selon les équipes. L’interprétation des résultats est par ailleurs souvent fort difficile.

Nous ne pouvons mentionner ici qu’un petit nombre de ces recherches en fonction de l’impact que leurs résultats ont dans la compréhension des troubles.

- Etudes génétiques.

Les données de plusieurs travaux suggèrent l’idée d’une dimension génétique de l’autisme infantile précoce. Ce sont :

- L’augmentation de prévalence de l’autisme infantile dans les fratries d’enfants atteints : elle est de 1 pour 55 à 1 pour 75, alors que le risque d’autisme dans la population générale est en moyenne de 1 pour 11000 ;

- La concordance plus élevée chez les jumeaux autistes monozygotes, bien montrée par exemple par les études sur les jumeaux (monozygotes et dizygotes) de Folstein et Rutter (1977) et de Ritvo (1985), même si leur pourcentage est notablement différent : 4 pour 11 (soit 36 %) chez les monozygotes, aucune concordance chez les dizygotes 0 pour 10 pour les premiers : 22 pour 23 (soit 95 %) chez les monozygotes et 3 pour 10 (30 %) chez les dizygotes, pour le second ;

- La notion d’un continuum de troubles cognitifs dont l’autisme serait la forme la plus grave, dans la mesure où dans l’étude de Folstein et Rutter on note que 45 % des jumeaux monozygotes non autistes (5 pour 11) et 10 % des dizygotes non autistes (1 pour 10) ont des troubles cognitifs, en particulier dans l’acquisition du langage.

Il est intéressant de souligner aussi que le sex ratio est toujours identique : 4 garçons atteints pour une fille.

Il y a lieu de noter encore que certains cas d’autisme associé au syndrome de l’X fragile ont été rapportés. Cette anomalie génétique est considérée comme une des causes de retard mental non spécifique.

Ceci dit, l’hétérogénéité étiologique est peut-être le trait le plus saillant des travaux génétiques relatifs à l’autisme et l’existence d’un facteur génétique n’exclut évidemment pas la participation de facteurs exogènes dans sa survenue. L’approche génétique, comme le souligne volontiers P. Roubertoux, n’est pas une approche fataliste ni exclusive.

- Études neurophysiologiques.

Les premières études neurophysiologiques effectuées par D. Bergman et S.L. Escalona (1949) avaient permis à ces auteurs d’énoncer en termes neurophysiologiques une conception globale de l’autisme fondée sur la faillite de la barrière protectrice contre les stimuli et l’invasion du milieu intérieur par des stimuli non filtrés venus du monde extérieur. Ornitz (1974) parle d’un désordre de l’intégration sensori-motrice, notamment en raison (1978) d’une anomalie fondamentale dans l’interaction entre les systèmes vestibulaires et visuels. Récemment, la conception neurophysiologique de Delacoo (1984) explique l’autisme par les réponses données par l’enfant aux perturbations sensorielles avec l’augmentation du « bruit de fond » qui sont liés à des anomalies de la sensibilité aux divers stimuli, notamment sonores.

Même si ces explications paraissent bien globalisantes, il y a lieu de noter que les résultats des études électrophysiologiques permettent de faire plusieurs hypothèses (G. Lelord). Ainsi l’absence de filtrage des informations sensorielles est évoquée sur l’électroencéphalogramme par l’augmentation des rythmes rapides traduisant ainsi l’augmentation du « bruit de fond ». La même hypothèse peut expliquer les latences courtes des potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral, l’hyperactivité végétative aux stimulations, l’absence d’habituation. A cette surcharge sensorielle, on peut penser que le cortex réagit par une inhibition « protectrice » qui se traduit, dans l’espace, par une hypersélectivité ou un rejet de stimulations de l’environnement et, dans le temps, par une absence de modulation des réponses en fonction de la répétition ou des variations d’intensité des stimulations.

Des enregistrements plus complexes de potentiels évoqués corticaux utilisant l’association de stimulations ou de réponses à des phonèmes ou à des symboles montrent une absence de discrimination sensorielle qui peut être rapprochée de l’absence d’habituation et du désintérêt pour tout événement nouveau que présente l’enfant autiste.

- Études biochimiques.

Plusieurs équipes de chercheurs à travers le monde poursuivent leurs travaux sur les neuromédiateurs (sérotonine et catécholamines) et les enzymes concernés dans leur métabolisme. Aucune conclusion certaine cependant ne peut encore être tirée. Le résultat qui est le mieux établi reste l’hypersérotonémie, présente chez près de la moitié des enfants autistes. Les perturbations des catécholamines (augmentation le l’HVA ou acide homovanillique, métabolite de la dopamine, dans les urines, ainsi que de l’adrénaline ou de la noradrénaline plasmatiques) restent encore discutées. Ces dernières sont-elles, comme semblent l’indiquer des données récentes, une conséquence de l’excès de sérotonine au niveau des sites de stockage communs, ou bien traduisent-elles une hyperactivité de systèmes dopaminergiques ? Il est encore impossible de l’affirmer.

Récemment est apparue une nouvelle direction de recherche. En effet certains auteurs, se fondant sur les données de l’expérimentation animale, ont émis l’hypothèse que les symptômes autistiques pourraient s’expliquer par une anomalie des neuropeptides, dont le rôle dans la physiologie cérébrale apparaît de plus en plus important et ubiquitaire (ils paraissent impliqués dans les processus de la mémoire, de la perception de la douleur, l’attention et la réaction d’éveil ainsi que dans le comportement sexuel). Une diminution du taux des endorphines plasmatiques a été signalée chez les autistes, comparés à des témoins normaux : des anomalies qualitatives d’excrétions urinaires des endorphines chez des enfants ont également été rapportées par Gillberg. Très  récemment, M. Leboyer et coll. ont suggéré que le syndrome d’autisme infantile précoce pourrait résulter d’une activité cérébrale opioïde excessive. Cette symptomatologie autistique et les comportements anormaux induits chez de jeunes animaux par l’injection d’opioides exogènes, la mise en évidence biochimique d’anomalies périphériques des opioides endogènes dans l’autisme et les effets thérapeutiques d’antagonistes opiacés dans l’autisme. L’aspect sans doute le plus intéressant de ces travaux est la possibilité d’une action thérapeutique de ces substances vis-à-vis des conduites autistiques. La naltrexone est actuellement un cours d’étude.

Il est bien entendu essentiel de souligner ici que la mise en évidence de l’association d’un trouble métabolique (comme neurophysiologique) avec un syndrome psychiatrique, quel qu’il soit, ne suffit pas, en soi, à démontrer qu’il existe entre les deux une relation de causalité. L’anomalie biochimique peut, par exemple, être due à un facteur associé : ainsi l’hypersérotoninémie des autistes pourrait être liée à des facteurs généraux non spécifiques (« maturation cérébrale », intensité motrice, arriération mentale…) dont la place, dans les mécanismes pathologiques resterait d’ailleurs à déterminer.

On envisage rarement l’hypothèse que des troubles biochimiques puissent être secondaires à des troubles psychiques ou aux comportements qui leur sont liés. Des faits expérimentaux récents en montrent pourtant la possibilité : on ainsi montré chez des rats isolés de leurs congénères des modifications de turnover de la dopamine dans le cortex frontal et le striatum ; et chez le singe, des modifications de la concentration sanguine de la sérotonine en fonction de l’environnement social et du statut de l’individu.

(In : P. MAZET et S. STOLERU. « Psychopathologie du nourrisson et du jeune enfant« .
Editions Masson, 2° édition, Paris, 1988, 1993, pages : 188 – 189 ; 202 – 205).

Source : « anti-Freud anti-psyk, le blog des récalcitrants éclairés »
https://vdrpatrice.wordpress.com/2011/07/15/philippe-mazet-et-serge-stoleru-sur-lautisme/

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