La réalisatrice du film « Le Mur », condamnée par le tribunal de grande instance de Lille pour « atteinte à l’image et à la réputation » de trois psychanalystes interviewés dans son documentaire, revient pour Rue89 sur les racines de cette théorie qu’elle juge si nocive pour les autistes.

Au cours de mes quatre ans d’enquête (45 interviews dont 27 filmées), j’ai découvert que la majorité des psychanalystes français se référaient aujourd’hui encore à un schéma de pensée pour lequel la toxicité maternelle reste l’explication-phare de l’autisme, comme de toutes les pathologies du développement.

Parmi les analystes, cette théorie fondamentale ne fait pas débat. Mon travail de réalisatrice a pour but de permettre à tout un chacun de décoder la théorie analytique,

par la bouche des psychanalystes eux-mêmes, invités à expliquer leurs propres théories, sans les dénaturer, c’est-à-dire en assumant devant ma caméra la dimension politiquement incorrecte de leur discours.

Un débat de fond sur le contenu des théories psychanalytiques est pourtant plus que jamais nécessaire. Or, face aux rares bilingues psychanalyse-français qui s’évertuent à mettre en évidence leurs partis-pris idéologiques, les psychanalystes adoptent une stratégie de victimisation, accusant le fauteur de trouble de fascisme, d’antisémitisme, voire de scientologie, pour se parer des vertus de l’humanisme outragé.

La « fusion incestueuse » avec la mère

Malgré près de trente ans de recherches en génétique et neurobiologie, les psychanalystes persistent à considérer l’autisme comme une psychose.

La sollicitude d’une mère à l’égard d’un enfant qui ne se développe pas normalement est interprétée soit comme mensongère (un désir de mort masqué) soit comme la cause direc

te du retard de développement. La thérapeutique consiste à séparer l’enfant de la mère en le plaçant dans une institution chargée de couper le lien.

L’autisme est interprété comme une dépendance excessive de l’enfant à sa mère. Les psychanalystes parlent de grossesse externe, de mère fusionnante, d’étouffement maternel. Pendant la maternité, les femmes traverseraient un état de folie transitoire qui plonge le bébé dans un état de psychose généralisée, prototype de tous les troubles psychiques à venir.

Tant que le bébé ne parle pas il est supposé être incapable de se différencier de sa mère, et donc psychotique (fou). Sous prétexte que sa mère engage avec lui une relation organique et non verbale, elle est supposée folle.

Les psychanalystes parlent de « folie à deux ». Cette relation primordiale, parfois appelée fusion incestueuse, sous-tend l’idée d’une animalité en opposition à l’humain, une relation hors normes, dans laquelle le père doit venir mettre de l’ordre, afin que conscience et langage puissent advenir.

Lacan et l’aliénation maternelle

La maternité n’aurait d’intérêt pour une femme que dans la mesure où l’enfant représente le substitut du phallus. Le bébé est en effet un objet de valeur, valorisant la mère, c’est donc un substitut du pénis (même si c’est une fille ! ) parce qu’analytiquement parlant tout ce qui est valable est forcément phallique.

Jacques Lacan, le plus célèbre des psychanalystes français, a été le promoteur de l’idée de mère psychogène avec le concept d’aliénation maternelle : une personne psychotique – un aliéné – est supposé avoir été aliéné à une mère fusionnante, incapable de le laisser s’autonomiser pour ne pas se séparer de son phallus providentiel.

Le sexe féminin est supposé absent dans l’inconscient où ne règnerait que du phallus. Il y aurait donc une contradiction insoluble entre le sexe anatomique de la femme et son inconscient phallique, qui pousserait la mère psychogène à s’amarrer à son enfant-substitut du phallus, et l’empêcher de se différencier d’elle, au point de le rendre fou.

Mère frigidaire ou fusionnante, même résultat

Ce mécanisme s’appelle la forclusion, autrement dit le gommage, du nom du père. Une mère est dite psychogène lorsqu’elle fait barrage au travail de séparation-individuation du père à l’égard de l’enfant. Ce concept suppose que c’est le père qui permet à l’enfant de s’individualiser et d’accéder au langage, phénomènes qui résulteraient simplement d’un travail de séparation de la mère et de l’enfant.

Mais l’enfant qui va mal est également supposé avoir été abîmé par un vœu de mort maternel, et victime d’une pensée destructrice, fût-elle inconsciente et passagère.

Simultanément à ses désirs d’inceste, une jalousie haineuse pousserait la femme à détruire les substituts du phallus manquant, à savoir l’enfant-phallus et le mari déchu de sa toute puissance. Parce qu’elle dit une chose et son contraire, cette théorie est irréfutable : que la mère soit trop froide, « kapo frigidaire » selon Bettelheim, ou dépressive, ou bien qu’elle soit trop chaude et fusionnante, peu importe, le résultat est identique forclore, gommer l’influence du père et l’empêcher d’exercer sur l’enfant son œuvre civilisatrice.

La dépression maternelle, si souvent invoquée dans l’autisme, est supposée liée à ce vœu de mort exprimé par la mère ; ou bien refléter la crainte d’une perte de l’enfant-phallus. Le sous-entendu est permanent : un enfant livré à sa mère c’est la catastrophe. La mère serait « dragonne » par essence, de par son sexe manqué, absent, et un penchant féminin naturel à l’absence de limites, tandis qu’il n’y aurait de loi et d’ordre que phalliques.

L’inceste paternel ne ferait pas tellement de dégât, tandis que l’inceste maternel serait effroyablement destructeur même s’il ne s’agit que d’un inceste inconscient, sans passage à l’acte. D’un point de vue psychanalytique, la folie même est synonyme d’inceste maternel.

Un débat qui s’est tenu partout dans le monde, sauf en France

Si les psychanalystes se contentaient de recevoir en cabinet une clientèle privée de névrosés adultes, ces croyances, aussi sexistes soient-elles, n’auraient pas de conséquences aussi graves. Mais ils exercent en tant que psychiatres et psychologues dans des institutions psychiatriques où ce qui doit primer c’est le soin apporté au patient au meilleur d’une connaissance scientifique actualisée.

La foi en la psychanalyse fait barrage à cette mission ainsi qu’à l’examen objectif du contenu de théories qui ont des conséquences sanitaires et sociales énormes dans l’existence de centaines de milliers de familles. Ces débats ont eu lieu dans le reste du monde depuis plus de trente ans.

Pourquoi, en France, est-il impossible de débattre simplement, objectivement, du contenu des thèses psychanalytiques ?

Par Sophie Robert, Tribune du 25/02/2012

Source : http://www.rue89.com/2012/02/25/relu-autisme-ce-que-je-retiens-de-la-theorie-sur-le-dragon-maternel-229569#comment-2930261

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