«On peut avoir le Nobel et ne pas savoir dire bonjour» – Interview de Josef Schovanec

Posted by autisme.info31 On mars - 31 - 2012 Commentaires fermés

S’ouvrir à l’autre. Telle est l’invitation lancée par la 5e Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme agendée ce lundi 2 avril 2012. Une bonne occasion d’en apprendre davantage sur ce trouble caractérisé notamment par une interaction sociale particulière. Porteur du syndrome d’Asperger et docteur de l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, Josef Schovanec en parlera lundi à Lausanne. Il porte ici son regard sur sa condition et celle des non-autistes, les «neurotypiques».

- Le Temps : Qu’est-ce que l’autisme?

- Josef Schovanec : Il y a ce que les spécialistes en disent et ce que j’en dirais moi-même comme dilettante. Selon la définition savante, il s’agit d’une particularité d’origine génétique qui touche une personne sur 150 environ et se caractérise par différents traits, qui vont d’une hypersensibilité à une difficulté à comprendre les règles sociales ou les émotions d’autrui. Pour ce qui me concerne, il est difficile de séparer l’autisme de ma propre personnalité, c’est comme être Allemand ou Suisse, de grande ou de petite taille. Une personne atteinte d’une grippe ou d’un cancer peut s’imaginer sans. Moi pas.

- Le Temps : Vous souvenez-vous du moment où vous vous êtes rendu compte que vous étiez porteur du syndrome d’Asperger?

- Josef Schovanec : L’existence de particularités apparaît vite. Le problème est d’obtenir le bon diagnostic. Dans les pays anglo-saxons ou scandinaves, l’autisme est bien connu et le diagnostic rapidement posé, ce qui permet un accompagnement adapté dès l’âge de 2 à 3 ans. Dans d’autres pays d’Europe cependant, il est méconnu, d’où une prise en charge sensiblement plus laborieuse. Le diagnostic est lui-même le début d’un long parcours intérieur. L’autisme n’a pas seulement une dimension médicale mais aussi une dimension sociale. C’est une chose de lire sa définition dans un livre. C’en est une autre d’apprendre à vivre avec. Et là où il est mal vu, il est très difficile de s’avouer concerné. Heureusement, ce n’est pas le cas partout: aux Etats-Unis, dire de quelqu’un qu’il est porteur du syndrome d’Asperger est presque une flatterie.

- Le Temps : Comment avez-vous été suivi?

- Josef Schovanec : J’ai été suivi par de nombreux psychiatres et autres professionnels de la santé. La plupart hélas!, pour ne pas dire la quasi-totalité, n’avaient pas les compétences nécessaires. Un autiste demande un suivi régulier. Enfant, il doit être scolarisé tout en ayant besoin de quelqu’un pour l’aider à surmonter toutes sortes de difficultés spécifiques. Adulte, il doit pouvoir exercer un métier mais il nécessite un «job coaching», une formule qui marche bien en Grande-Bretagne. Et puis, il a besoin d’un enseignement aux codes sociaux qui ne relève ni de l’école ni du cadre professionnel. J’ai un exemple tragique. Un ami autiste a souffert de douleurs croissantes sans être en mesure de prendre tout seul un rendez-vous chez le médecin. Quand il a été finalement hospitalisé, il était trop tard: il avait développé un cancer terminal. Il est mort il y a deux semaines. Vous pouvez avoir un Prix Nobel et ne pas savoir dire «bonjour».

- Le Temps : «Dire bonjour» peut s’apprendre?

- Josef Schovanec : Oui. Mais cela prend du temps. Apprendre à prononcer le mot est facile mais vous ne dites pas bonjour de la même façon à un chef ou à un vieil ami, en Suisse ou au Japon. Les non-autistes ne s’en rendent pas compte parce qu’ils intègrent ce genre de notions tout naturellement, mais il existe des millions de règles, qui vous imposent jusqu’à une certaine façon de marcher dans la rue. Et les règles ont des exceptions. Si vous enseignez à un jeune autiste à aller chercher du pain à la boulangerie, vous devez aussi lui apprendre comment il doit réagir s’il n’y a plus de pain. L’apprentissage n’est jamais total. Comme adulte, on continue à faire des gaffes. J’en fais moi-même des dizaines par jour. C’est la vie… Il y a par ailleurs un débat sur les limites d’une telle normalisation. Un autiste doit-il savoir faire tout ce qu’un non-autiste fait?

- Le Temps : Et le marché du travail? Les autistes y trouvent-ils des places?

- Josef Schovanec : J’ai un emploi et l’idéal serait que tous les autistes en aient. Ce n’est pas impossible. Pour le patron d’une boîte informatique, il est idéal d’avoir des collaborateurs sérieux, qui arrivent tous les jours à l’heure et qui font exactement ce qu’on leur dit. Il faut juste vaincre certains préjugés. La réalité est beaucoup plus humaine qu’on ne l’imagine. Bill Gates a lui-même déclaré publiquement qu’il était concerné par le syndrome d’Asperger. Même des personnes porteuses d’un autisme nettement plus sévère peuvent trouver leur place dans une entreprise. C’est le cas par exemple de l’une des plus anciennes employées de la chaîne française de distribution Monoprix.

- Le Temps : Avez-vous l’impression que les gens perçoivent vos défauts mais pas vos qualités?

- Josef Schovanec : Oui. Les personnes qui ne connaissent pas la question considèrent volontiers que les autistes sont des malades mentaux, voire qu’ils sont dangereux. Le responsable du suivi d’un jeune autiste m’a raconté qu’il avait récemment été retrouver son protégé dans une ferme et qu’il avait été surpris de voir que ses vêtements n’étaient pas lavés en même temps que ceux des autres. Lorsqu’il a demandé qu’elle en était la raison, il s’est entendu répondre: «C’est pour qu’on n’attrape pas sa folie.» Et l’on n’était pas dans un pays sauvage au Moyen Age, mais dans l’Europe d’aujourd’hui. Un autre cliché, popularisé par les médias, est celui du surdoué, de la bête de foire qu’on invite sur les plateaux de télévision pour lui demander quel jour correspond à telle date. Assez peu de gens s’intéressent à notre quotidien.

- Le Temps : Comment considérez-vous les non-autistes?

- Josef Schovanec : J’ai la chance d’en fréquenter beaucoup. Mais il y a des précautions à prendre. Lorsque je parle avec l’un d’entre eux, j’évite de lui tourner le dos, j’essaie de regarder son visage et j’évite de parler trop longtemps des sujets qui me passionnent comme les vieux manuscrits éthiopiens. Discuter avec un autiste est beaucoup plus simple. Et puis, chez les neuro­typiques, il faut accepter certains péchés mignons comme les jeux d’apparence ou les stratégies de pouvoir. Cela m’amuse ou me déprime selon les circonstances. Mais certains autistes sortent traumatisés de cette expérience, au point de considérer tous les non-autistes comme des voleurs ou des menteurs.

- Le Temps : Il paraît effectivement que les non-autistes sont des menteurs…

- Josef Schovanec : Une psychologue m’a raconté l’histoire suivante. Un enfant autiste lui a dit un jour qu’elle avait de grosses cuisses. Et quand elle lui a répondu que cela ne se disait pas, l’autre a protesté en rétorquant que c’était pourtant la vérité. Les autistes ont énormément de peine à mentir. Ils ont en plus une définition très large du mensonge. Si l’un d’entre eux vous indique qu’il revient dans deux minutes et qu’il revient deux minutes et demie plus tard, il se sentira fautif.

- Le Temps : Aux yeux des autistes, les neurotypiques seraient aussi très intolérants. C’est vrai?

- Josef Schovanec : Imaginez que vous êtes un enfant autiste à l’école et que vous cherchez à vous faire des amis. Vous avez 7 ans et vous dites à votre voisin de table: «Bonjour monsieur!» Qu’allez-vous recevoir en retour? Des moqueries de toute la classe. Et ce genre de réactions, vous allez en attirer constamment pendant toutes vos années de scolarité. C’est là une expérience extrêmement douloureuse. A la longue, certains autistes finissent par s’imaginer que le monde entier veut les éliminer.

- Le Temps : Et vous-mêmes, comment vous en tirez-vous?

- Josef Schovanec : En jouant régulièrement une sorte de comédie sociale. Mais cet exercice est lassant. La plupart des neurotypiques veulent être en permanence avec quelqu’un. Moi, je ne connais rien de mieux que ces heures de solitude où l’on peut lire tranquillement en s’asseyant comme on veut.

«Comprendre l’autisme – Apprivoiser la différence», conférence publique, lundi 2 avril, 18 heures, Rolex Learning Center de l’EPFL, à Ecublens (Suisse).

Par Etienne Dubuis


Source : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/5a5f7330-7aa4-11e1-95ab-2d726865a361|0

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