Analyse des affirmations du psychanalyste Jean-Claude Maleval interrogé par le psychanalyste Gérard Miller – par Le KOllectif 7 janvier
« Lorsque qu’un psychanalyste membre de l’école de la cause freudienne interroge un autre psychanalyste, également membre de l’école de la cause freudienne pour une revue grand public, le risque de désinformation n’est certainement pas à négliger. Le KOllectif 7 janvier en tient pour preuve cette entrevue récemment publiée dans l’hebdomadaire La Vie (24 mai 2012) entre Gérard Miller et Jean-Claude Maleval, et au cours de laquelle plusieurs contrevérités historiques et scientifiques sont énoncées avec autorité. L’opération vise à promouvoir la sortie du dernier livre du second des deux lacaniens, un ouvrage justement destiné à critiquer les dérives de la psychothérapie dite « autoritaire ». L’assimilation des thérapies comportementales et cognitives (TCC) aux pires atrocités de l’histoire demeure l’une des stratégies les plus employées par les psychanalystes pour discréditer les approches scientifiques et pour légitimer leurs théories et pratiques sans avoir à répondre des critères de validité adoptés par la médecine moderne fondée sur les preuves. Trois membres du KOllectif 7 janvier analysent donc autant d’extraits de cette entrevue. »
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Extrait n°1
Gérard Miller : Devenu aujourd’hui l’une des sommités de la psychanalyse à l’université, comment expliquez-vous que la découverte freudienne y soit si contestée ?
Jean-Claude Maleval : C’est d’abord lié à la montée du cognitivisme, qui conçoit le cerveau comme un ordinateur. Or, l’ordinateur n’a pas d’affects, pas de jouissance, et c’est ce qui est terrible avec le cognitivisme : il évacue toute dimension affective, émotionnelle. C’est un combat permanent pour maintenir la psychanalyse contre une telle approche de l’être humain.
Commentaire de Franck Ramus :
Il est faux que le cognitivisme conçoive le cerveau comme un ordinateur. Les sciences cognitives ont simplement constaté que le cerveau traitait des informations, de même que les ordinateurs. L’analogie s’arrête là. Il est encore plus faux que le cognitivisme évacue toute dimension affective et émotionnelle. Bien au contraire, l’étude des émotions, de l’attachement, et de l’humeur est un secteur particulièrement dynamique des sciences cognitives. Par exemple, dans l’encyclopédie de référence des neurosciences cognitives, la partie VIII, comprenant 9 chapitres, y est entièrement consacrée.
Si M. Maleval prend la peine de consulter sa bibliothèque universitaire et d’y chercher autre chose que des œuvres psychanalytiques, il y trouvera de nombreuses revues scientifiques consacrées au sujet, par exemple Cognition & Emotion, ou encore Social Cognitive and Affective Neuroscience, ainsi que des livres de référence tels que Cognitive Neuroscience of Emotion ou encore The Emotional Brain.
Pour affirmer que le cognitivisme évacue toute dimension affective et émotionnelle, il faut donc faire preuve soit d’une grande ignorance de ce que sont les sciences cognitives, soit d’une grande malhonnêteté.
Par ailleurs, sur le plan thérapeutique, de nombreuses formes de psychothérapies autres que la psychanalyse ont pour objet d’intervenir sur les émotions et les affects des patients. Là encore, ignorance ou malhonnêteté ?
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Extrait n°2
Gérard Miller : Dans votre dernier livre, vous expliquez que les dérives des techniques « cognitivo-comportementales » menacent aussi la psychothérapie.
Jean-Claude Maleval : Ce sont des méthodes autoritaires qui trouvent leur origine dans l’hypnose, où c’est un maître thérapeute qui dirige le travail, qui cherche à modeler son patient, à le rendre conforme au mythe de « l’homme normal ».
Commentaire de Jacques Van Rillaer :
Maleval, comme une certaine Roudinesco, affirme sans donner la moindre référence bibliographique. C’est comme si je disais la psychanalyse trouve son origine dans la pratique de la purgation.
En fait, c’est la psychanalyse qui trouve son origine dans l’hypnose.
En 1914 (!!) Freud explique encore dans Erinnern, Wiederholen und Durcharbeiten (Gesammelte Werke, vol. X, Trad. In : Technique psychanalytique) que :
« le but de la psychanalyse est la remémoration, l’hypnose supprime totalement la résistance et fait ressurgir les souvenirs de façon idéale. […] L’évocation des souvenirs dans l’hypnose donne l’impression d’une expérience de laboratoire »
Mieux, Freud avoue qu’il opère avec la suggestion sous le nom de transfert. Il écrit dans les Conférences d’introduction à la psychanalyse (trad., Gallimard, 1999) :
« Dans notre technique, nous avons abandonné l’hypnose que pour redécouvrir la suggestion sous les espèces du transfert. » (p. 566s)
« Nous accordons que notre influence repose pour l’essentiel sur le transfert, donc sur la suggestion. » (p. 569)
Pour des passages plus longs, voir le document : Le « transfert » freudien
Notons enfin que Lacan fait cet aveu dans son dernier séminaire (texte établi par Jacques-Alain Miller) :
« Le psychanalyste est un rhéteur. Pour continuer d’équivoquer, je dirai qu’il rhétifie, ce qui implique qu’il rectifie. Rectus, le mot latin, équivoque avec la rhétification. [...] Ce que j’ai appelé le rhéteur qu’il y a dans l’analyste n’opère que par suggestion. Il suggère, c’est le propre du rhéteur, il n’impose d’aucune façon quelque chose qui aurait consistance. C’est même pour cela que j’ai désigné de l’ex- ce qui se supporte, ce qui ne se supporte que d’ex-sister. Comment faut-il que l’analyste opère pour être un convenable rhéteur ? C’est là que nous arrivons à une ambiguïté.
L’inconscient, dit-on, ne connaît pas la contradiction. C’est bien en quoi il faut que l’analyste opère par quelque chose qui ne se fonde pas sur la contradiction. Il n’est pas dit que ce dont i l s’agit soit vrai ou faux. Ce qui fait le vrai et ce qui fait le faux, c’est ce qu’on appelle le pouvoir de l’analyste, et c’est en cela que je dis qu’il est rhéteur. » (Ornicar ?, 1979, n° 19, p. 6 et sv)
Pour le texte complet de ce séminaire : Une pratique de bavardage
Pour un court exposé sur les TCC, voir le texte : Les TCC: la psychologie scientifique au service de l’humain
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Extrait n°3
Gérard Miller : Des thérapeutes reconnus ont vraiment réussi à provoquer des épidémies de troubles mentaux en induisant de faux souvenirs ?
Jean-Claude Maleval : Oui, des thérapeutes américains ont, par exemple, persuadé des patients qu’ils avaient subi des sévices dans l’enfance, qu’ils avaient été victimes de cultes sataniques, ce qui a eu des conséquences terribles, comme l’emprisonnement, voire la mort de certains parents. Ces thérapies usent et abusent des pouvoirs de la suggestion que l’on refuse justement quand on est psychanalyste.
Commentaire de Brigitte Axelrad :
J.-C. Maleval fait dans l’à peu près. Tout d’abord, il n’y a pas que des « thérapeutes américains » qui ont induit des faux souvenirs d’abus sexuels. L’épidémie s’est propagée dans le monde entier et notamment en France où des parents accusés se sont suicidés ou ont été traduits en justice sur la base de ces accusations sans corroboration extérieure. Et ça continue.
Les thérapeutes de la mémoire retrouvée font largement appel aux méthodes et concepts freudiens, tels qu’on les trouve dans la théorie de la séduction puis dans celle du fantasme et complexe d’Œdipe. Ils font valoir que des souvenirs d’abus sexuels peuvent être refoulés par l’inconscient et retrouvés plusieurs dizaines d’années plus tard par la thérapie. Cette thérapie est suggestive et prend pour prétexte une communication directe du thérapeute avec l’ICS du patient par toute une série de techniques, notamment l’interprétation des rêves, des lapsus, etc. en fonction du fameux postulat du déterminisme psychique développé par S. Freud. Le récent procès de l’humanothérapeute B Yang Ting confirme si besoin était la filiation de ces méthodes avec l’enseignement de Freud. Le thérapeute a dit mot pour mot au cours de l’instruction : »J’ai été ébloui par Freud ».
Quant à l’affirmation que les psychanalystes refusent d’utiliser les pouvoirs de la suggestion, rappelons que Freud disait qu’il devait forcer ses patients par tous les moyens à retrouver les souvenirs des abus subis. Dans Études sur l’hystérie, il relate en 1895 la manière forte avec laquelle il recueillit ou plutôt selon ses termes « finit par extorquer » des confessions de ses patientes, Miss Lucie, Katharina et Fraulein Elizabeth. C’est surtout en 1896 que Freud a publié sur la théorie de la séduction. Il écrivait que l’hystérie de toutes ses patientes sans exception s’expliquait par « des séductions subies dans la première enfance ».
Il ajoutait :
« Les malades ne racontent jamais ces histoires spontanément. On ne réussit à réveiller la trace psychique de l’événement sexuel précoce que sous la pression la plus énergique du procédé analyseur et contre une résistance énorme, aussi faut-il leur arracher le souvenir morceau par morceau. […] Dans la plupart des cas, les souvenirs n’étaient retrouvés qu’après plus de cent heures de travail » (Œuvres complètes. PUF, III, pp. 117, 180)
Le livre de 200 pages de Jean-Claude Maleval laisse lui aussi une impression d’à peu près. On est notamment choqués par le chapitre 1 intitulé « Visages contemporains de la psychothérapie autoritaire ». En page 70, il amalgame 3 thérapies qui relèvent des dérives sectaires (« l’épidémie d’enlèvements extraterrestres », « les faux souvenirs induits d’abus sexuels », « la propagation de la personnalité multiple ») avec les thérapies cognitivo-comportementales.
Ce livre se termine par :
« Si les psychanalystes du XXème siècle veulent sauvegarder la découverte freudienne, désormais, ils ne peuvent plus être indifférents à l’action politique »
Publié le dimanche 27 mai 2012
Source : http://kollectifdu7janvier.org/23-analyse-des-affirmations-du-psychanalyste-jean-claude-maleval