Je suis Asperger : ni singe savant, ni « débile mental », je m’en suis sorti. Et j’en ai bavé – témoignage de Fab Vial asperger
Le 18 février, c’était la journée nationale du syndrome d’Asperger. Cette forme d’autisme est un trouble du développement neurologique qui se traduit principalement par des difficultés dans les relations aux autres. Comment le vit-on ? Fab Vial, qui a aujourd’hui 25 ans, en est atteint. Il nous raconte son quotidien dans la peau d’un « aspie ».
J’ai 25 ans et je suis atteint du syndrome d’Asperger, cette
« différence » qui me hissera toute ma vie au rang d’intrigue et de curiosité.
On décrit souvent les Asperger comme des virtuoses de la musique ou des maths, mais pour ma part, je ne sais pas jouer une gamme complète au piano et la seule notion des maths que je possède, c’est le théorème de Pierre Dac, consistant à dire qu’un carré est un cercle qui a mal tourné.
Je ne suis pas un singe savant, vu que je n’ai même pas les poils. Je suis juste un mec qui veut être ordinaire, un mec qui aime aussi faire les choses à sa manière.
La vie n’est jamais facile, mais pour nous c’est pire
Je m’en suis pas mal sorti mais c’était loin d’être gagné. Dites-vous une chose, vivre dans ce bas monde, c’est gagné pour personne, mais pour des gens comme nous, c’est dix fois pire.
C’est sur le prix d’efforts et de déboires de mes proches que j’ai réussi à rester la tête hors de l’eau, car bien des malfaisants, des vindicatifs ou « pignouffes » de tout genre auraient rêvé de me jeter dans le capitonner.
Car jusqu’alors, la France avait trois solutions pour traiter ses enfants malades : soit elle les internait, soit elle les cloquait dans les Instituts médico-éducatifs (IME), soit elle disait aux parents « démerdez-vous ! ».
En clair,
j’étais parti pour finir avec les défaillants et je serais devenu fou de ne plus pouvoir devenir quelqu’un.
On me considérait comme un »débile mental »
Au fil des ans, j’ai appris la sagesse, à me méfier, à me débrouiller et même à entretenir une maison, (j’en possède une que je suis en train de restaurer quasi-intégralement depuis trois ans). Je suis électricien depuis près de dix ans, dans une boîte où l’ambiance est à la fois « mi-figue, mi-raisin » et j’ai dû apprendre à m’adapter, à gérer un chantier et à « flairer les gens ».
Pour un « aspie » c’est un sacré apprentissage, surtout que je « reviens de bien loin ».
Étant môme, j’étais seul dans ma bulle, j’étais dans un autre monde, le mien, et j’ai souvent payé le prix fort de ma différence, j’en ai bavé. Le fait que je sois passé d’une petite école de campagne avec 20 élèves à une école privée de 1000 élèves m’a transformé du tout au tout, j’étais dans la jungle, la proie facile…
Les autres me considéraient comme un « débile mental », j’avais une mauvaise image de moi, je me considérais comme un loser.
Je n’atteindrais jamais la 6e, selon des médecins
Avec le temps, je me suis ouvert, j’ai commencé à avoir quelques amis, et j’ai goûté aux joies et aux désillusions qui vont avec.
Malgré les médisances de certains « professionnels de santé qui ont encore certains réflexes freudiens », qui étaient persuadés que je n’atteindrais jamais la classe de sixième, j’y suis parvenu tout de même. Une année scolaire assez mouvementée, mais j’ai réussi à passer dans les classes supérieures sans trop d’encombres.
C’est vers cette époque-là que j’ai débuté la pratique du yoga (que je poursuis toujours, dans un cadre différent). Cette pratique ancestrale m’a appris à dominer mon corps, à en prendre conscience, à adopter une confiance en moi et à calmer les tourbillons de ma pensée.
J’ai eu mon bac pro avec mention
J’ai commencé à avoir des amis qui me respectaient quand je suis entré au lycée. J’étais toujours seul aux récrés, quelques-uns m’importunaient toujours, mais j’ai appris avec le temps à ne pas y prêter attention. J’ai commencé aussi à dissocier moquerie méchante et taquinerie.
Bref, j’ai commencé à me fondre avec les autres et à plaisanter avec eux. Cela a continué quand j’étais apprenti.
Pour conclure ma scolarité, j’ai eu mon brevet des collèges, mon BEP et mon bac pro en électrotechnique, les trois avec mention.
Mes collègues m’ont toujours respecté
J’ai fréquenté « l’école de la vie », quand j’ai commencé à bosser. J’ai fait un stage en 2005 chez un artisan électricien, et je n’en suis jamais parti. En 2006, j’ai été pris comme apprenti dans un premier temps et embauché définitivement au bout de deux ans.
Durant toutes ces années, je n’ai jamais cessé de croire en moi, de croire en mes possibilités. J’ai eu la chance de rencontrer des collègues avec qui j’ai pu me construire, apprendre mon métier, apprendre sur la vie, devenir quelqu’un. Ils ne m’ont jamais fait de cadeaux. Ils m’ont toujours respecté certes, mais ils ne m’ont jamais vu comme quelqu’un d’autre que Fab…
C’est d’ailleurs ce qui a fait la différence.
Asperger, je n’en parle pas, ça ne se voit pas
Dans ma vie professionnelle, je ne parle jamais de mes « problèmes », j’ai une certaine pudeur. Et ce n’est pas que pour ça ; je crains que cela fiche la frousse ou encore, que d’autres en profitent pour m’embourber.
Et puis, ça ne regarde personne.
Chez moi, Asperger ne se remarque pas, à part à travers ma franchise ou quelques maladresses. Autant laisser « ça » sous silence, et je m’en porte mieux ainsi.
Un collègue m’a toujours dit : « Ça ne doit pas être un obstacle mais un avantage. On ne devrait pas ‘nous’ exposer comme des singes savants dans un zoo, mais nous laisser notre dignité.
On ne devrait pas faire notre vie autour de ‘ça’ mais la construire par rapport à qui nous sommes réellement ».
Je le rejoins à 100% sur cette philosophie.
La France a cette tendance tragique à sacrifier ses enfants qui ne répondent pas à des critères de normalité.
Avant, elle les jetait en première ligne dans les guerres, maintenant elle les jette sans réfléchir dans les instituts, souvent arriérés ou inadaptés pour la majorité des cas.
Les fusils se sont tus mais, pour bien des familles, comme la mienne, le combat continue.
Article édité et parrainé par Rozenn Le Carboulec