Objet : MISE EN DEMEURE – Droit à la scolarisation des enfants autistes

Monsieur le Ministre,

En qualité d’association de parents luttant pour les droits des enfants autistes, nous nous permettons de vous rappeler qu’en France l’éducation n’est pas un droit mais une obligation. Cependant cet accès à l’instruction n’est pas égal pour tous : les enfants autistes sont discriminés, et plus généralement les enfants handicapés.

La situation actuelle est telle que :
L’Education Nationale exclut des enfants des écoles, très peu de places permettant la prise
en charge adaptée des personnes atteintes d’autisme sont mises à disposition;
• La scolarisation de ces enfants est à l’évaluation discrétionnaire des établissements et de leurs directeurs qui, bien souvent, ne veulent pas de ces élèves dans leurs écoles. Or c’est une obligation à leur égard et non un choix que de leur permettre d’accéder à l’instruction ;
• Les professionnels qui sont en charge des élèves atteints de ce trouble ne sont pas qualifiés, situation créatrice d’insuffisance professionnelle de la part des enseignants et de situations néfastes pour les enfants. La formation est incomplète et erronée, il n’y a d’ailleurs aucune formation spécifique sur l’autisme ; Et le personnel, auxiliaires de vie scolaire, formé est en nombre fortement insuffisant ;
• Lorsque des AVS peuvent être mises à disposition des enfants et aider les enseignants, certains les refusent, ce qui entraine à court ou long terme des dangers pour l’enfant, dans sa prise en charge, tout autant que pour l’adulte qui risque d’avoir un comportement inapproprié à son égard ;

• On notera également l’absence de programmes pédagogiques adaptés. Rien n’est mis en place pour que l’enfant puisse progresser à son rythme et en adéquation avec son handicap, il n’y a aucun réel suivi de sa scolarisation, ses progrès et ses difficultés ;
• Et, lorsque les parents, devant ce manque de formation systématique et la mise en danger de leurs enfants, décident de les retirer de l’établissement dans lequel leur progéniture a été placée ils risquent un signalement, que l’on ne pourra que considérer comme abusif devant ce désintérêt et ce manque total d’investissement pour une scolarisation adaptée et suffisante de la part de l’Education Nationale;
Quant aux institutions de l’Etat, elles sont déficientes dans les missions qui leur incombent. L’Inspection Générale de l’Education Nationale n’accomplit pas sa mission d’évaluation en matière d’éducation et reste inerte devant ce Déficit éducatif ; la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire n’a mis en place aucune formation spécifique à l’autisme et le comportement du personnel, non compétent, est néfaste pour l’enfant ; on constatera également la carence au niveau de la formation universitaire que la Direction Générale de l’Enseignement Supérieur ne pallie pas et aucune action, aucun programme tendant à l’amélioration de la vie sociale des personnes atteintes d’autisme n’est mis en œuvre par la Délégation Interministérielle aux Personnes Handicapées, qui de plus néglige la politique européenne et internationale en matière d’autisme.
C’est d’un ensemble de manque de budget, d’inexistence de mesures spécifiques, de défaut chronique de formation des personnels et de désintéressement institutionnel dont souffrent les personnes atteintes d’autisme.

En dernier point mais non le moindre, la politique de l’Education Nationale pour les classes spécialisées (ULIS, CLISS) est inadmissible. Le principe même du projet d’ouverture d’une classe spécialisée : ce projet est soumis à la bonne volonté des établissements afin d’accueillir au sein de leur structure cette classe, projet marginalisé et laissé au pouvoir discrétionnaire local ou institutionnel du chef d’établissement.
Et ce, sans un minimum de considération pour les besoins des enfants ni pour la situation géographique d’implantation de ce projet en rapport aux nombres de demandes, un mélange de toutes les pathologies, incluant l’autisme et le devoir d’adaptation des familles à ces classes et non l’inverse. Hors il serait judicieux de rappeler ici la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées : l’enfant doit être scolarisé dans une école de son quartier. Et non courir toute la ville afin de trouver une classe lui permettant de se développer intellectuellement et socialement.
Sans compter la recherche successive d’enseignants acceptant la prise en charge de ces classes, personnel totalement ignorant à la cause de l’autisme et non formé pour s’occuper de telles classes. Enseignants qui refusent ou ne font pas la demande de formations spécifiques aux troubles du spectre autistique proposées par des professionnels compétents. Ce qui conduit irrémédiablement, faute de remise en question et d’évolution positive, à un rejet de l’enfant autiste.

De plus, malgré la création de ces classes «spécialisées», tous les ans, le personnel et l’établissement de prise en charge changent : c’est une absence totale de perspective dans ces projets, une perte de temps et d’argent pour la constitution d’une équipe éducative qui se dissout à peine créée, une preuve supplémentaire de l’incapacité et de l’incompétence de l’Education Nationale en matière de scolarisation des enfants autistes.
Sans compter que depuis 30 ans que ces classes sont ouvertes dans certains départements, jamais il n’a été fait une évaluation de compétences au sein de ces structures, il n’y a aucune prise en compte dans les politiques mises en place. C’est le droit social fondamental de l’enfant qui est bafoué et ces projets en deviennent dangereux par ce manque répété, à tous niveaux, de compétences, de capacités et de formations.

L’Association constate en outre qu’aujourd’hui l’Education Nationale est un Etat dans l’Etat, avec son propre pouvoir et ses propres prérogatives exorbitantes du droit commun, fermée aux partenariats enrichissants en matière de prise en charge et de scolarisation des enfants autistes. C’est une hiérarchie du refus qui est mise en place au sein de l’Enseignement scolaire : l’enseignant a le pouvoir d’accepter ou de refuser l’enfant autiste dans sa classe, hors cela n’est pas un choix mais un devoir d’enseigner dont il a la charge. Puis intervient le chef d’établissement qui peut, à son tour, refuser la prise en charge au sein de sa structure. Quand ce n’est pas le psychologue ou le médecin scolaire qui s’opposent à cette scolarisation, même s’ils n’ont aucune formation en matière d’autisme.
Et cette hiérarchie du refus remonte ainsi d’inspecteur général en inspecteur départemental de l’Enseignement scolaire. Force est de constater qu’en France s’est instauré un pouvoir en matière d’éducation au lieu d’une compétence et que cette hiérarchie crée un blocage à la scolarisation des enfants autistes, usagers de ce service public que doit fournir l’Education Nationale.
Les usagers des services sanitaires et médico‐sociaux n’ont‐ils pas accès au respect de leurs droits par l’instauration de comité et représentants des usagers ? Pourquoi donc, sous cette dictature de l’Enseignement qui refuse toute collaboration, n’est‐il pas possible d’instaurer la mise en place des droits des usagers de ce service public ? C’est une revendication nécessaire et primordiale afin que les droits des enfants autistes ne soient plus bafoués comme ils le sont à l’heure actuelle.


La non scolarisation d’un enfant autiste et son manque d’instruction le poussent à régresser, à ne pas s’intégrer dans la vie et la société qu’est la sienne. L’autisme reste marginalisé et les lois actuelles sont insuffisantes et imprécises. En refusant de manière implicite cette scolarisation et en laissant intact ce manque de formation spécialisée, l’Education Nationale est coupable de non assistance à personne en danger et met en danger, par là même, aussi bien son personnel enseignant que les enfants dont il a la charge.
De nombreuses familles et enfants atteints d’autisme se retrouvent dans ces situations qui, à terme, conduisent à des dommages et des séquelles importants. Pour ne citer qu’un exemple des conséquences néfastes de ce vide institutionnel et juridique de la part de l’Education Nationale, je citerai le cas de Samy SAJIDI. Cet enfant atteint d’autisme est scolarisé dans un lycée professionnel au sein d’un dispositif Ulis. Il devait être accompagné d’une AVS mais le poste n’a jamais été pourvu et Samy est resté sans accompagnement ni soutien spécifique. De plus, une AVS CO malentendante est présente dans cette classe, mais n’ayant aucune formation à l’autisme elle renforce, malgré elle, les comportements inappropriés de l’enfant.
Ayant des difficultés relationnelles avec une autre élève, il a été proposé à l’enseignante la présence d’une intervenante de FuturoSchool, aide que celle‐ci a refusé. S’en ait suivi, à l’occasion d’un cours de sport et d’une altercation avec cette jeune fille pendant le cours de sport, que Samy a eu une réaction agressive envers son professeur du fait d’actions inappropriées répétées et de non respect de consignes envers sa personne et les caractéristiques de son trouble autistique.
Samy est maintenant exclu de cette école en attendant une décision administrative de placement, sous la pression des professeurs et sans que les parents puissent avoir connaissance de l’exactitude des faits ayant amenés à ce comportement inhabituel et extraordinaire. Ce manque de scolarisation sans justification concrète trouble l’enfant et le porte à régresser n’ayant plus de stimulations éducative ni sociale. Les parents doivent donc pallier à ce manque de moyens et de considération de la part de l’Education Nationale afin de s’occuper de l’éducation de leur enfant, charge de l’Etat français.

Cette situation est un réel traumatisme et porteuse de nombreuses conséquences néfastes pour l’enfant autiste, tout comme pour ses parents. Les exemples foisonnent et les nombreux cas dont l’Association a connaissance ne sont qu’un échantillon du calvaire quotidien de nombreux parents sur toute la France, d’une lutte incessante pour avoir accès à l’éducation, ce qui semble paradoxal dans un pays qui prône le respect des Droits de l’homme et de l’Enfant.
L’Etat français est redevable du droit à l’éducation, de cette obligation à la scolarisation.
«Le droit à l’éducation pour tous les enfants, quel que soit leur handicap, est un droit fondamental » n’est il pas un point clé de l’Education nationale ? On retrouve pourtant cette maxime sur le site même du Ministère de l’Education. Le code de l’action sociale pose le principe du droit à l’éducation : «Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d’une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques. Adaptée à l’état et à l’âge de la personne, cette prise en charge peut être d’ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social. » (Article L.246‐1).
La jurisprudence administrative a rappelé que l’Etat a « l’obligation légale d’offrir aux handicapés une prise en charge éducative au moins équivalente, compte tenu de leurs besoins propres, à celles dispensées aux enfants scolarisés en milieu ordinaire. » (CAA Marseille, 31.01.2008, n°05MA01886). Cette obligation reste de moyens. (CAA Marseille, 15.05.2008, n°06M101961).
Cependant, la jurisprudence a également signifié la responsabilité de l’Etat en cas de carence de scolarisation des enfants autistes. Car si le droit à l’éducation n’est qu’une obligation de moyens, l’obligation scolaire doit avoir un caractère effectif. Et de nombreux textes rappellent l’Etat à ses obligations : Article L.111‐1 du Code de l’éducation « L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances. (…)
Le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. ». Ainsi que les articles L.112‐1, L.112‐3, L.351‐1 et L.351‐2 du même code.

Qu’il en résulte donc, que « le droit à l’éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation, et, d’autre part, que l’obligation scolaire s’appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation ; qu’il incombe à l’Etat, au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif ; que la carence de l’Etat est constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité, sans que l’administration puisse utilement se prévaloir de l’insuffisance des structures d’accueil existantes ou du fait que des allocations compensatoires sont allouées aux parents d’enfants handicapés, celles‐ci n’ayant pas un tel objet. » (CE 08.04.2009, n° 311434).

On citera également la jurisprudence du tribunal administratif de Pau, en date du 18 novembre 2010 (n° 1000858), le juge admettant que l’absence d’AVS compromet la scolarité de l’enfant atteint d’autisme et qu’il appartient donc à l’Etat de mettre en œuvre la décision de la MDPH.

Si l’Administration attribue une AVS ou une place dans une école à un enfant autiste, elle crée un droit dans son patrimoine juridique. Droit opposable à l’Education Nationale et à l’Etat, responsable de sa mise en œuvre et de son effectivité.
Or force est de constater que les enfants autistes ne bénéficient pas, de manière totale et inconditionnelle, de ce droit à l’éducation et de l’accès à la scolarisation dont ils sont créanciers.
Dans ces conditions, et par le présent courrier, nous sommes contraints de vous mettre en demeure d’exécuter vos obligations légales. De mettre à disposition des familles et des enfants atteints d’autisme des professionnels formés et compétents, de mettre en place des classes personnalisées pour les autistes ainsi que la mise en œuvre d’une stratégie politique au regard des troubles du spectre autistique et de la scolarisation des enfants qui en sont atteints.
Faute d’une réponse de votre part dans le délai d’un mois, nous nous verrions dans l’obligation de saisir le tribunal compétent et de porter, de surcroit, toutes les affaires engageant la responsabilité de l’Etat dans le manque d’attribution d’AVS devant ces mêmes tribunaux pour des demandes de dommages et intérêts.
Dans l’attente de votre réponse nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, à l’assurance de notre considération distinguée.

M’Hammed SAJIDI Président

Copies : ‐ M. Nicolas SARKOZY – Président de la République ‐ M. François FILLON – 1er Ministre ‐ Mme BACHELOT – Ministre des Solidarités et de la Cohésion Sociale ‐ Mme MONTCHAMP – Secrétaire d’Etat auprès de la Ministre des Solidarités et de la Cohésion Sociale ‐ Mme BOUGRAB – Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Education Nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative ‐ Mme Valérie PECRESSE – Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ‐ M. Thierry DIEULEVEUX ‐ Secrétaire Général du Comité Interministériel Handicap ‐ M. Yves REPIQUET ‐ Président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme‐ M. Jean‐Marc SAUVE – Vice Président du Conseil d’Etat ‐ M. Gérard LARCHER ‐ Président du Sénat ‐ M. Bernard ACCOYER ‐ Président de l’Assemblée Nationale ‐ Députés et Sénateurs de France ‐ M.Thierry WICKERS ‐ Président du Conseil national des barreaux ‐ M. Jean‐Pierre DUBOIS ‐ Président de la Ligue des Droits de l’Homme ‐ M.Jean‐Paul DELEVOYE ‐ Médiateur de la République ‐ Mme Dominique VERSINI ‐ Défenseur des enfants ‐ M. Eric MOLINIE – HALDE ‐ Président de la Conférence des Présidents d’Université ‐ M. Bertrand DELANOE ‐ Maire de Paris ‐ M. Jean‐Paul HUCHON ‐ Conseil Régional Ile de France ‐ M. Didier CHARLANNE ‐ Directeur de l’ANESM ‐ M. Laurent DEGOS ‐ Directeur de la HAS ‐ Mme Polonca KONCAR ‐ Présidente du Comité européen des Droits Sociaux ‐ M. Dominique BAUDIS – Vice Président de la Commission des affaires Etrangères au Parlement Européen – Membre de la sous commission des Droits de l’Homme ‐ Président du Conseil des droits de l’Homme à l’ONU ‐ M. Nicolas DELEUZE ‐ Président de l’Association des Magistrats de l’Union Européenne ‐ Associations françaises, européennes, internationales agissant pour l’Autisme ‐ Directeurs des Maisons Départementales des Personnes Handicapées ‐ Directeurs des Centres de Ressources Autisme ‐ Comités scientifique, juridique et d’éthique de VAINCRE L’AUTISME ‐ Forums Autisme

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Mise En Demeure Mars 2011

SOURCE : ASSOCIATION VAINCRE L’AUTISME
51 rue Léon Frot 75011 Paris Tel : 01.47.00.47.83 ‐ Fax : 01.43.73.64.49
www.vaincrelautisme.org – info@vaincrelautisme.org

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